
le pouvoir de la simplicité
Au début de sa carrière, il a travaillé dans le domaine de la joaillerie, à l’exemple de son père. Cependant, des objets plus grands commenceront plus tard à prendre forme entre ses mains. Le fauteuil de la collection Merano, présenté il y a 10 ans, compte sans aucun doute parmi les pièces qui ornent aujourd’hui de nombreux espaces. C’est de ce fauteuil, mais aussi de sa vision du design, de l’importance des prototypes, des matériaux et de l’avenir que nous discutons avec Alexander Gufler.
À quel moment avez-vous décidé que la joaillerie ne serait finalement pas votre discipline ?
Cela s’est passé au bout de cinq ans d’activité et d’études dans ce domaine à Pforzheim, en Allemagne. Un établissement d’enseignement de la conception de produits se trouvait à côté de l’école de joaillerie que je fréquentais. J’adorais les expositions qu’ils organisaient ! Ils travaillaient avec différents programmes, les cours chez eux étaient plus techniques dans leur ensemble et cela m’attirait. Plus je découvrais ce monde, plus j’étais convaincu que je devais y tenter mes chances.
Étiez-vous donc motivé par cet environnement immédiat, ou peut-être par des objets célèbres et des icônes du design ?
Je me souviens que lors de mes études en Allemagne, je suis tombé amoureux de la chaise Panton de Vitra. Là-bas, une fois par semaine, les gens peuvent apporter dans la rue tout ce dont ils veulent se débarrasser. Souvent, on peut y dénicher de vrais trésors. Pour moi, le trésor, c’était la chaise Panton blanche. La pièce que j’ai trouvée à l’époque était cassée, mais c’est à ce moment-là qu’est né mon amour des meubles, en particulier des chaises.
Vous avez cette chaise chez vous ?
Oui, je l’ai achetée peu de temps après. Une autre pièce rare était un presse-agrumes de Philippe Starck.
Pensez-vous que c’est ce classique du design qui a marqué votre style, qui est visuellement simple ?
Je pense que j’ai été principalement influencé par le métier et par la création même de prototypes. Si vous voulez faire quelque chose en comptant sur vos propres forces et vos mains, cela ne doit pas être trop difficile. Cette idée est essentielle pour garder un design épuré et simple. Dans les programmes informatiques, on arrive toujours à créer de beaux détails, mais ils sont difficiles à mettre en œuvre. Surtout dans les cas où vous souhaitez que la production de votre produit soit lancée avec succès, vous devez tenir compte d’autres facteurs, tels que la production réelle, le prix, etc.
Le fauteuil Merano a-t-il été votre prototype le plus exigeant ?
C’était l’un des plus faciles. Le prototype le plus exigeant a probablement été une autre chaise en bois, qui faisait l’objet de ma thèse de diplôme. Je l’ai entièrement créée sur ordinateur et déjà lors de la conception, j’imaginais qu’elle allait impliquer une utilisation importante de la technologie CNC. En arrivant à la fin de la conception, j’ai réalisé que le bois est un matériau naturel qui ne respecte aucune règle. Tout semble possible sur l’écran de l’ordinateur, mais la réalité est différente. Cependant, cet effort m’a conduit à comprendre le rôle important de la simplicité dans tout le processus. Et c’est ainsi que Merano est né.
Quel fut son parcours pour intégrer la gamme TON ?
Je l’ai présenté au salon IMM, dans la section de petits concepteurs. Le directeur artistique de l’époque, Tom Kelley, et surtout le directeur technique et général de TON, étaient enthousiasmés par le produit. Je pense que le prototype a joué un rôle important, car il leur a permis d’imaginer les vraies étapes de production ainsi que tous les détails,
Existe-t-il des produits en cours de fabrication ou que vous avez présentés sans en avoir fabriqué de prototype ?
Il n’en existe aucun.
Combien de prototypes avez-vous donc fabriqués ?
Jusqu’à présent, environ 50. Mais ils ne sont plus tous chez moi, faute d’espace de stockage. Ma philosophie est que je n’irais jamais voir une entreprise sans apporter un prototype parfait. Lorsqu’il n’est pas possible de créer le prototype dans le matériau réel, par exemple en plastique, j’en fais un simplement en carton. Un tel prototype peut être fait en un jour ou un jour et demi, et cela permet de déceler à l’avance les nombreuses erreurs que l’entreprise devrait traiter par la suite.
Tous les concepteurs ont-ils cette approche ?
Je pense que les bons préparent eux-mêmes leurs propres prototypes. Surtout lorsqu’il s’agit de meubles. À la fin de mes études, je me suis rendu compte que j’étais entouré dans ma classe d’excellents concepteurs, mais ils ne faisaient qu’imprimer des prototypes 3D, car ils maîtrisaient parfaitement les programmes 3D. Ce qui leur manquait, c’était la connaissance des matériaux. En travaillant réellement avec les matériaux, vous découvrez comment ils se comportent et cela vous aide à mettre au point le produit du mieux que vous pouvez.
Quel est le matériau que vous utilisez le plus souvent ? Est-ce le bois ?
Oui, je travaille principalement le bois, ce qui est influencé par mon lien avec TON. Mais même au-delà de ce facteur, le bois est pour moi le matériau le plus naturel. Des outils de base sont nécessaires pour le travailler. J’ai fabriqué Merano dans mon petit atelier. Lorsqu’il s’agit de métal ou d’acier, des machines beaucoup plus grosses sont nécessaires.
D’autre part, je suppose que travailler le bois prend plus de temps. Est-ce le cas ?
Oui, si nous comparons le bois au plastique, par exemple. Il est impossible de fabriquer un prototype en plastique, et seule l’impression 3D permet de s’en rapprocher. Cependant, celle-ci ne fournit pas une image réelle, mais juste une idée des proportions et de l’esthétique finales. Une entreprise qui décide d’inclure un produit dans sa gamme doit donc vérifier tous les détails et investir des sommes considérables dans la production de la machine appropriée. Par contre, à la fin, le produit est bon marché, car il est possible de fabriquer un grand nombre de pièces à faible coût.
Le plastique est donc probablement le matériau d’aujourd’hui. Sera-t-il aussi le matériau de l’avenir ?
C’est difficile à dire. Peut-être, dans sa variante recyclée. Je crois que quelqu’un viendra proposer un nouveau type de matériau qui maintiendra la simplicité de la production en incluant des aspects écologiques. Tôt ou tard, cette approche deviendra la norme. Cependant, cela n’exclut pas pour autant le bois. Bien au contraire, en raison de son caractère organique et terreux. Après tout, c’est un matériau qui pousse sur notre planète et chacun de nous aime, de par sa nature, être entouré de produits naturels.