Entretien
avec le studio Claesson
Koivisto
Rune
Texte – Adam Štěch
Nous nous sommes rendus à Stockholm pour visiter le studio d’architecture et de design Claesson Koivisto Rune et discuter de la nouvelle collection de sièges 822 pour la marque TON. Nous n’avons pas uniquement évoqué l’évolution de la collaboration particulièrement intéressante au sein du trio et l’importance d’entretenir des relations amicales dans le monde du design industriel, mais aussi par exemple le phénomène du design scandinave.
Comment votre coopération a-t-elle vu le jour ? Comment a-t-elle évolué au cours des années ? Avez-vous une recette particulière à conseiller aux autres architectes pour assurer une telle collaboration ?
Mårten Claesson: La recette est la même que dans un couple. C’est très facile. Nous faisons le maximum pour toujours rester amis. Nous avons d’ailleurs créé notre studio parce que nous étions déjà amis. Nous nous sommes en fait rencontrés par hasard sur les bancs de l’université et notre amitié s’est développée en une relation très étroite. L’idée d’ouvrir un studio de design ensemble après nos études s’est ensuite imposée comme une évidence.
A-t-il été difficile de commencer à travailler pour des sociétés internationales ?
Ola Rune: Nous avons bien évidemment commencé en concevant des produits pour des marques scandinaves. Certains ont ensuite été exposés au Salon International du Meuble de Milan où ils ont marqué l’attention à l’échelle internationale. Puis un jour, un homme nous a appelés, demandant à nous rencontrer dans notre studio à Stockholm. C’était Giulio Cappelini. Il voulait passer dans notre studio une demi-heure plus tard. La surprise était grande, mais nous lui avons bien évidemment dit de venir. Par chance, il est arrivé avec un peu de retard et nous avons eu le temps de ranger ! Il était accompagné de Piero Lissoni, et c’est ainsi que tout a commencé. Par la suite, nous avons coopéré avec des sociétés italiennes comme Boffi, Living Divani et bien d’autres. Il s’agissait vraiment d’opportunités exceptionnelles pour nous.
Eero Koivisto: C’est toujours comme ça. Ce sont nos futures partenaires qui nous contactent. Nous n’avons jamais été démarcher une entreprise en lui faisant des propositions.
Je pense que c’est tout simplement la preuve de votre talent naturel et de votre aptitude à travailler dur. Finalement, les clients viennent d’eux-mêmes.
Ola Rune: Je pense qu’être à trois a été un véritable avantage. Nous nous donnions du courage et avions une plus grande envie de réussir. Nous ne craignions pas de saisir toutes les opportunités qui se présentaient à nous. Être à trois est vraiment bien. Cela nous a donné plus de force.
Mårten Claesson: C’est super, parce qu’il y a toujours quelqu’un pour critiquer ton travail, de façon positive bien sûr. C’est beaucoup mieux de travailler comme ça, en équipe, parce qu’on peut toujours arrêter le processus et discuter des mauvais choix qui ont été faits. Nous gardons ainsi toujours le contrôle.
Eero Koivisto: Lorsque vous regardez l’histoire de l’architecture, il existe de nombreuses équipes qui ont réellement rencontré un grand succès. Il est évident que les gens ont toujours envie de porter leur attention sur une seule personne. C’est plus facile à comprendre. Mais lorsque vous regardez les frères Bouroullec ou bien Skidmore, Owings et Merrill, beaucoup de collaborations se sont inscrites dans l’histoire.
Peut-être que ce phénomène est aujourd’hui devenu plus habituel qu’il ne l’était autrefois.
Ola Rune: Je pense que vous avez raison. Mais ce n’est pas grâce à nous que les gens collaborent. Si l’amitié n’est pas au rendez-vous, vous pouvez être certain que la collaboration cessera tôt ou tard. Si je suis seul et que je fais une esquisse, elle est définitive. Mais si je peux faire voir mon esquisse à Eero ou Mårten, c’est toujours une opportunité de réfléchir encore plus et de développer l’idée pour la rendre encore plus belle.
Votre travail est souvent considéré comme l’un des plus beaux exemples du design scandinave actuel. Qu’y a-t-il de si typique dans le design scandinave ? Vous sentez-vous réellement être des designers scandinaves ?
Eero Koivisto: Tout d’abord, lorsque vous regardez au-delà des frontières de la Scandinavie, on évoque toujours le design scandinave. Et ce n’est certainement pas un hasard. C’est un style qui est venu de cette partie du monde. Je pense que le design est différent dans chaque société parce qu’il reflète ses valeurs et ce qu’elle est. En Scandinavie, la démocratie s’est installée relativement tôt. Nous avons toujours eu cette volonté d’améliorer les droits des personnes et nous avons constamment été en quête d’égalité. Le design scandinave ne cherche pas à s’imposer, il respecte cette vision. Il n’est pas fastueux, mais au contraire très modeste. C’est exactement ce que vous ressentez lorsque vous regardez des créations classiques, comme celles d’Arne Jacobsen. Nous avons envie de rester nous-mêmes, aussi authentiques que possible.
Mårten Claesson: Je pense que nous créons un design scandinave tout simplement parce que nous sommes scandinaves. Mais cela ne veut pourtant pas dire que tous les designs scandinaves sont bons.
Est-ce que cela est en lien avec la nature partout fortement présente en Scandinavie ?
Mårten Claesson: C’est très difficile à dire lorsque vous travaillez et que vous regardez la situation de l’intérieur. J’habite en ville et je conçois des produits qui correspondent à mon style de vie urbain. Mais une chose est pourtant évidente. Nous avons beaucoup de forêts et le bois est donc un matériau prédominant dans nos créations.
Vous avez également coopéré avec de nombreuses marques japonaises. Cette influence est-elle importante pour vous ?
Eero Koivisto: Je pense que le design nordique dans son ensemble a beaucoup en commun avec l’approche japonaise. Ces deux inspirations partagent beaucoup. Nous avons toujours été très intéressés par l’architecture, le design et l’art japonais. Nous avons tous les trois eu des bourses d’étude pour nous rendre au Japon lorsque nous étions étudiants. Nous avons ainsi pu étudier la culture nippone de très près. Lorsque nous avons créé notre studio, nous avions toujours un pied au Japon, nous y allions souvent et y organisions des expositions. En fait l’une de nos premières commandes a été le design d’une Maison de la culture à Kyoto. En plus de l’édifice en lui-même, nous y avons également proposé des meubles pour les espaces intérieurs. Cela a éveillé une grande attention et nous avons ainsi bénéficié de publicité dans de nombreux journaux. Par la suite, nous avons obtenu d'autres commandes au Japon. Je pense que nous partageons certaines valeurs avec les Japonais. C’est certainement la modestie et l’envie de toujours rester discret. Créer des choses sobres, qui durent dans le temps, qui fonctionnent et qui nous sont utiles. Les Japonais n’aiment pas fabriquer des choses qui ne sont pas fonctionnelles. Personnellement, je trouve les Japonais très agréables et c’est aussi essentiel pour assurer une bonne coopération.
Vous travaillez également comme architectes. Comment les différentes dimensions et échelles de l’architecture et du design influencent-elles vos créations ? Avez-vous un manifeste que vous aimez suivre ?
Eero Koivisto: Il est évident que les approches sont différentes selon le type de projet. Mais de façon générale, l’idée est toujours la même : créer l'environnement dans lequel nous vivons. Pour nous, il est naturel de prendre en compte tous les détails. Lorsque vous concevez un bâtiment, vous devez penser à chaque petit élément. Il en est de même lorsque vous concevez une chaise puisque là aussi, vous devez veiller à tout étudier dans le détail. La différence n’est donc pas si grande. Évidemment, concevoir un bâtiment ou une brosse à dents exigent des approches différentes. Mais dans les deux cas, il s’agit de résoudre les problèmes rencontrés.
Mårten Claesson: La seule différence est que le design n’est pas attaché à un lieu comme c’est le cas pour l’architecture.
Votre approche de l’environnement global d’un bâtiment est semblable à celle qu’avait déjà Josef Hoffman il y a plus de 100 ans.
Eero Koivisto: Oui, bien sûr. Mais pas seulement Hoffmann. On peut également citer Alvar Aalto et bien d’autres encore.
Mårten Claesson: Nous avons sans aucun doute été influencés par les architectes du début du modernisme. C’était une époque où la fabrication industrielle devenait partie intégrante du travail de l’architecte. Il est intéressant de constater que lorsque vous regardez la chaise que Hoffmann avait conçue à cette époque, vous comprenez clairement ses décisions et son approche. Et puis, vous pouvez les suivre.
Ola Rune: Le produit pour TON dont nous parlons maintenant a aussi été créé pour un emplacement concret. Dans la pratique, nous commençons souvent à créer les objets en fonction de leur environnement, qu’il s’agisse d’un intérieur ou d’un projet d’architecture beaucoup plus vaste. Le design voit le jour à travers les processus.
Et parlons maintenant des chaises. Quand avez-vous créé votre toute première chaise et pourquoi sa typologie est si importante pour les designers ? Qu’est-ce qu’une chaise en tant que typologie pour vous ?
Ola Rune: Je pense que la chaise est l’élément primaire de tous les designs car elle est non seulement fonctionnelle mais aussi étroitement liée à l’architecture. C’est la raison pour laquelle les architectes veulent tous créer leur chaise. La première chaise à laquelle nous avons contribué était une chaise pour un projet de bureau en 1996. Nous souhaitions la créer entièrement en bois. Nous avions une idée et nous avons donc contacté notre ami, un fabricant de meubles. Nous lui avons expliqué que nous avions envie de créer une chaise semblable à celle pensée par Alvar Aalto et Bruno Mathsson. C’était une chaise entièrement en bois qui a ensuite été fabriquée par David Design. Ça a en fait été l’un des premiers projets qui a lancé notre carrière.
Eero Koivisto: Pourquoi la chaise représente-t-elle un tel défi pour un designer ? Parce que c’est un meuble dont les moindres éléments sont essentiels à l’échelle humaine et à sa bonne fonction. Les limites concernant la fabrication des chaises sont très strictes. Et c’est pourquoi la chaise est à la fois simple et pourtant très compliquée.
Mårten Claesson: La chaise est aussi un meuble qui doit être durable. Tout ce que nous venons de dire explique pourquoi cet objet est l’un des plus difficiles à concevoir.
Évoquons maintenant votre nouvelle coopération avec l’entreprise tchèque TON qui fabrique votre collection de sièges 822. Comment a-t-elle commencé ?
Eero Koivisto: Nous avions déjà utilisé les chaises TON auparavant dans le cadre de nombreux projets, pour des restaurants, des hôtels ou d’autres intérieurs. Nous avons toujours été très satisfaits de leur qualité. Puis, il y a quelque temps, nous avons commencé à travailler sur un très beau projet : un restaurant situé dans le bâtiment de l’ancienne bourse norvégienne. Nous avons voulu y installer des chaises dont le style était très clair dans notre esprit. Nous avons donc commencé à discuter avec l’entreprise TON des possibilités de travailler sur un nouveau design. Leur réaction a été extrêmement positive dès le début et elle n’a fait que se renforcer au cours de notre coopération. Cette collaboration a ensuite pris un tournant encore plus marquant lorsque nous sommes venus visiter l’entreprise pour voir les prototypes. Nous avons alors appris que TON était très satisfaite de la qualité de cette chaise et qu’elle aimerait l'intégrer dans sa gamme de production.
Les opportunités de concevoir un mobilier d’intérieur sur mesure sont aujourd’hui de moins en moins importantes, n’est-ce pas ?
Eero Koivisto: Bien au contraire. Nous travaillons constamment sur ce type de projet. Nous créons des chaises, des tapis, des lampes, des tables et parfois même des couverts et des verres. Toujours pour des intérieurs bien concrets.
Ola Rune: Oui, c’est vrai que ce n’est pas inhabituel pour nous. Nous nous efforçons de toujours trouver les meilleures propositions pour chacun de nos projets, sans jamais copier des formes déjà existantes. Alors lorsque nous ne trouvons rien d’adapté, nous nous lançons dans la création de nos propres objets. Pour l’espace concret que nous venons d’évoquer, nous avions besoin d’un objet iconique, de quelque chose qui dégage un esprit spécifique.
Mårten Claesson: Je pense que vous avez aussi un peu raison. Il est actuellement beaucoup moins habituel de créer une chaise concrète pour un intérieur concret parce que la profession est beaucoup plus divisée entre les architectes et les designers qu’elle ne l’était auparavant. Notre studio refuse cependant cette division et nous considérons qu'il est beaucoup plus naturel de créer nos propres meubles pour nos propres projets. Comme nous avons une très longue expérience dans la conception de chaises pour de nombreuses entreprises, ce n’est pas réellement un problème pour nous. Au final, si cette chaise s’intègre parfaitement dans un restaurant en Norvège, il est fortement probable qu’elle s’intègre également dans d’autres restaurants. Sa production en série a donc un sens.
Eero Koivisto: C’est un type de fonctionnement habituel. Nous cherchons un objet concret et nous nous rendons compte que cet objet n’existe pas. Alors nous nous associons avec une entreprise qui donne jour au design concret que nous avons créé. Il est parfois difficile de trouver une entreprise qui accepte de se lancer dans la fabrication de quelques dizaines ou centaines d'unités parce que la préparation des processus de fabrication dure longtemps et qu’un tel projet ne rapporte pas beaucoup.
Ola Rune: Pour la société TON, lancer la fabrication d'une nouvelle chaise est un processus très problématique et difficile. Vous avez besoin de préparer de nouvelles formes, de mettre en place de nouvelles procédures et tout cela ne peut pas se faire sans investissement. Mais lorsque l’entreprise comprend que le projet est très intéressant, elle peut investir et commencer une production en série, c’est ce que TON a fait dans notre cas.
Je pense que vous avez beaucoup de chance en tant que designer de pouvoir développer vos projets sur mesure. Dans la plupart des projets, je vois toujours les mêmes chaises issues de productions en série. L’idée de « Gesamtkunstwerk », c’est-à-dire une « œuvre d’art totale » est aujourd’hui plutôt rare en architecture.
Mårten Claesson: C’est vrai, nous essayons de toujours proposer un travail aussi complet que possible. Nous sommes persuadés que séparer le design de l’architecture est une grande erreur. C’est ce que les architectes ont toujours fait.
Eero Koivisto: De nombreux projets iconiques dans l’histoire du design ont en fait été initialement créés pour un projet architectonique concret. Je pense en fait qu'il est beaucoup mieux de procéder ainsi parce que vous pensez alors différemment. Tout doit fonctionner pour une situation concrète, le design est influencé par des circonstances concrètes. C’est exactement le cas de la chaise 822. Nous l’avons conçue pour qu’elle résiste pendant plusieurs dizaines d’années car notre client de Norvège est une famille qui dirige des hôtels depuis quatre générations. Il est fort probable que ces chaises continuent d’occuper leur place pendant 40, voire 60 ans. C’est un fait qui a réellement influencé notre approche. Nous ne pouvions pas concevoir quelque chose simplement selon la mode et les tendances actuelles.
Mårten Claesson: Nous devons aussi admettre que la technologie de cintrage du bois a déjà fait ses preuves sur de nombreux sièges de restaurants et de cafés. Cette technique propose un produit résistant, naturellement solide et souple. Nous l’avons recherchée pendant de nombreuses années. Très peu d’entreprises savent pourtant l’utiliser. Et TON est l’un des meilleurs fabricants dans ce secteur. C’était un peu un rêve pour nous de travailler avec le bois cintré. Nous avions déjà travaillé avec de nombreuses technologies, mais c’était réellement notre première expérience avec le cintrage du bois massif. Nous nous sommes mis une grande pression parce que nous voulions en tirer le maximum. L’avantage est que le design des chaises en bois cintré dépend étroitement de la technologie et de ses contraintes. Et nous aimons faire face à des limites.
Tout comme les meubles en bois cintré, le concept « Gesamtkunstwerk » dont nous venons de parler est étroitement connecté à l’œuvre de Josef Hoffmann. Celui-ci est d’ailleurs le designer de la chaise A 811 qui a servi de point de départ à la création de la chaise 811. Comment avez-vous eu l’idée de reprendre cette idée pour la transformer ?
Eero Koivisto: Nous avions auparavant utilisé la chaise 811 dans de nombreux projets. Nous l’aimons beaucoup et nous réfléchissions à la façon dont elle pourrait encore être améliorée, bien évidemment dans le plus grand respect du travail de Josef Hoffman et de sa chaise A811 qu’il avait ensuite lui-même déjà améliorée en créant la chaise 811. Nous voulions la renouveler un peu à la façon dont d’autres designers l’ont fait autrefois, comme Vico Magistretti par exemple. Notre idée était donc de conserver l’esprit du design et d’y apporter un caractère nordique plus moderne. Nous avons utilisé des perforations dans le siège pour qu'il paraisse plus léger et plus graphique. Ce que nous avons beaucoup aimé sur ce projet, c’est le concept de son dossier. Les chaises sont souvent vues de dos. Lorsque la personne qui s'assoit sur la chaise 822 porte des vêtements de couleur, les perforations permettent d’associer les différentes teintes et donc de créer une nouvelle dimension. Hoffman a utilisé les mêmes perforations sur la chaise A811 pour Thonet-Mundus pendant les années trente. Un autre aspect de notre travail a consisté à simplifier la construction de la chaise. Les technologies modernes nous ont permis de créer cette chaise avec efficacité et précision. Tous les éléments arrondis cintrés ont été redressés pour être plus géométriques. La bordure de la chaise est un peu plus épaisse et l’ensemble de la composition présente des proportions un peu différentes.
Mårten Claesson: Les projets d’origine A 811 et 811 sont d’excellents exemples du mouvement de modernisme précoce. Ils rappellent l’héritage du romantisme du 19e siècle. Nous avons décidé de supprimer cet aspect parce que nous vivons deux cents ans plus tard. L’époque a totalement changé. La collection 822 est en phase avec celle dans laquelle nous vivons.
Est-il difficile de s’approcher d’un design aussi iconique ? Comment avez-vous réfléchi au design pour le transposer vers un style plus contemporain ? Aviez-vous déjà travaillé sur des projets semblables ?
Mårten Claesson: Je pense que rafraîchir un design iconique est un travail difficile. En tant que designer, il est important de déjà avoir de l’expérience. Ce n’est certainement pas un défi pour un jeune créateur.
Eero Koivisto: Il est tout naturel de remettre certains objets du passé au goût du jour. Lorsque vous regardez par exemple des couverts de table, vous constatez qu’il s’agit en fait toujours de la même forme qui évolue. En tant qu’architectes, nous travaillons sur de nombreux projets où nous devons reconstruire d’anciens bâtiments et adapter l’architecture initiale d’une toute nouvelle façon. En ce sens, notre travail sur la chaise 811 a été similaire. La technologie de cintrage du bois a dans ce cas été tellement éprouvée qu’elle influence toujours la manière dont la chaise a été conçue. Il est impossible de transposer une chaise en bois cintré en une chaise en plastique ou en métal, et vice versa. La plupart des discussions avec TON ont donc concerné de petits détails : comment améliorer l’aspect et la fonctionnalité du modèle d’origine 811.
Êtes-vous prêts à être critiqués pour avoir « saboté » la chaise de Josef Hoffman ?
Ola Rune: On n’est jamais vraiment prêts à entendre des critiques. On peut réagir par la colère ou bien décider d’en rire. Pour nous, il est important que TON prenne du plaisir à travailler sur ce projet. C’est essentiel. Lorsque vous voyez le personnel de TON travailler dans l’usine, c’est comme un ballet. Certainement l’un des moments les plus forts qu’on puisse vivre lorsque l’on conçoit des meubles. Si TON et son personnel n’aimaient pas leur travail, personne ne se serait lancé dans un tel projet.
Que pensez-vous de la chaise d’origine 811 ? En fait, elle n’est pas aussi iconique que d’autres qui se sont inscrites dans l’histoire du design.
Mårten Claesson: Si nous devions choisir une seule chaise du catalogue TON, ce serait la 811.
Eero Koivisto: Nous nous rendons depuis de nombreuses années au London Design Festival. Notre restaurant préféré se trouve à South Kensington et il est justement aménagé avec des chaises 811. Nous les adorons. Je pense que l’histoire du design a été marquée par une dizaine de chaises extraordinaires et la 811 est justement l’une d’elles.
Ola Rune: C’est vrai qu’elle n’est peut-être pas aussi connue que d’autres modèles, mais les architectes la connaissent très bien et ils comprennent toute la modestie qu’elle dégage. Son design ne cherche pas à être voyant. Elle a tout ce dont on a besoin et elle est très confortable.
Pouvez-vous décrire le processus de développement de la collection 822 ? Comment s’est déroulée la collaboration avec une entreprise qui siège si loin de la Suède ?
Mårten Claesson: La coopération a commencé pendant la pandémie. Pendant cette période, nous avons dû réduire le nombre de réunions, que ce soit ici à Stockholm ou ailleurs. Tout devait être en ligne, alors la coopération avec TON a fonctionné exactement comme toutes nos autres coopérations. Nous avons tout d’abord visité les ateliers de TON, ce qui s’est avéré être une très grande source d’inspiration. Et le contact a été excellent dès le début. Nous sommes allés au fond des choses et nous avons commencé la collaboration. J’ai réellement eu l’impression que nous travaillions ensemble depuis des années déjà. La langue du design est universelle et nous n’avons donc rencontré aucun problème. Je dois aussi dire que le directeur artistique de TON, Alexander Gufler, qui est en fait de Vienne, nous a aussi apporté beaucoup.
Eero Koivisto: C’était réellement une très belle coopération. Les équipes de TON aiment aller droit au but. Nous avons déjà coopéré avec de nombreuses entreprises et je ne peux que constater que TON est réellement professionnelle. Leurs produits sont fabriqués à la main mais tout le processus est numérique et cela fonctionne très bien. Tous les petits ajustements ont été consultés en ligne, tout était vraiment très facile. En plus, la société connaît parfaitement l’histoire des meubles cintrés et cela a été un grand avantage. C’est extrêmement important.
Ola Rune: A chaque fois que nous travaillons sur un nouveau design avec une entreprise, nous devons ajuster notre mode de communication. Avec TON, tout s’est très bien passé. Dès le début, nous avons compris ce qu'ils voulaient. Tout s’est déroulé avec une grande facilité.
Nous parlons beaucoup de la technologie du bois cintré, mais en fait l’élément le plus remarquable de votre collection est le contreplaqué perforé utilisé pour l’assise et le dossier. Est-il difficile à réaliser ?
Ola Rune: L’ensemble du processus a été extrêmement pratique. Nous sommes partis de la chaise de Josef Hoffmann, nous en avons fabriqué un modèle en papier et nous avons essayé plusieurs possibilités. Puis le reste a été fait sur ordinateur. Nous avons également réfléchi à l’emplacement des perforations pour que la lumière qui les traverse propose un beau jeu de couleurs sur le sol.
Eero Koivisto: Au départ, nous n’avions aucune idée du nombre de perforations que nous allions créées, ni même de leur grandeur. Nous avons passé beaucoup de temps à imaginer leur composition parfaite, il nous a fallu des centaines d’heures. Nous devions aussi considérer leurs dimensions. Sur la chaise Hoffman d’origine, ils sont plus grands parce qu’à cette époque, il était impossible de les faire plus petits. Mais aujourd’hui, les technologies existantes nous ont justement permis de diminuer leurs dimensions. Je suis très content que nous ayons pu faire évoluer la technologie de cintrage du bois qui existe telle qu’elle est depuis plus de 160 ans. Aujourd’hui, les technologies nous permettent d’aller plus loin.
Mårten Claesson: Nous avons dû adapter le design à la construction de la chaise pour éviter certains éléments qui sont situés sous le siège. Ça a été l’un des processus les plus longs de l’ensemble de la création. L’histoire du bois cintré est une évolution, non pas une révolution. Nous sommes heureux d’avoir pu y contribuer. C’est d’ailleurs pour cela que notre chaise s’appelle 822, car elle a été créée en 2022.
Votre collection 822 ne comprend pas uniquement des chaises, mais aussi toute une famille de meubles d'assise. Comment a eu lieu le processus de création de cet ensemble ?
Eero Koivisto: Cela a été très simple. Nous avons tout d’abord travaillé sur la chaise et le fauteuil. Puis, nous nous sommes rendu compte que nous aurions également besoin d’une chaise de bar pour le restaurant. Nous avons donc œuvré à sa création, et nous en avons ensuite raccourci les pieds pour donner naissance à un tabouret bas.
Mårten Claesson: L’important est que nous nous sommes beaucoup consacrés à la chaise et au fauteuil. Ils sont vraiment la mère et le père de toute la famille. Si vous les avez, il est alors très facile d’ajouter d’autres membres à la famille. Nous nous sommes concentrés sur les éléments clés de la collection, mais je suis persuadé que cette famille pourrait encore s’agrandir avec d’autres modèles. C’est un peu comme lors de la création d'une voiture. Lorsque vous créez un cabriolet ou un coupé, vous devez consacrer la même énergie dans chacun de ces deux designs. Il ne s’agit pas uniquement d’adapter un design existant à de nouvelles fonctions.
Ola Rune: Le design le plus atypique de cette famille est le fauteuil lounge qui n’est pas très habituel des collections TON. Le créer à partir d’une chaise classique n’est pas facile, encore moins dans le contexte des processus de fabrication.
Comment avez-vous travaillé avec les couleurs de la collection ?
Eero Koivisto: Chaque designer à sa propre idée de l’utilisation des couleurs. Tout comme certaines cultures ont une préférence pour certaines couleurs. Je pense qu’un bon design se doit d’être universel et de pouvoir être utilisé avec n’importe quelle teinte.
Mårten Claesson: La couleur est accessoire sur ce modèle, c’est réellement sa forme qui est importante.
Y a-t-il quelque chose que vous voudriez ajouter ?
Mårten Claesson: Je pense que nous avons vraiment tout évoqué. Cette coopération nous a réellement apporté beaucoup de plaisir.